Ces dernières années, la pandémie, la guerre en Ukraine et les tensions sur les chaînes d’approvisionnement ont mis en lumière la vulnérabilité des économies européennes. La relocalisation industrielle fait partie des pistes explorées pour renforcer la souveraineté. La France et plus largement les pays membres de l’UE multiplient les initiatives pour redynamiser leur tissu industriel. Ce mouvement, encore fragile, doit toutefois surmonter plusieurs obstacles structurels et s’inscrire dans une vision à long terme.
Relocaliser pour réindustrialiser : un enjeu vital pour la France
Le déclin de l’industrie, longtemps masqué par la tertiarisation de l'économie, a révélé une vulnérabilité stratégique majeure pendant la pandémie. Depuis, entre incitations fiscales, plans d'investissement et simplifications réglementaires, l'État tente de créer les conditions d'une renaissance.
Une désindustrialisation historique
Depuis 1975, la France a perdu plus de 2 millions d’emplois salariés industriels. La part de l’industrie dans le PIB est passée de 21,8 % à 10,7 % en 2023. Ces chiffres, communiqués par la commission des affaires économiques en février dernier lors d’une séance consacrée à la perte de souveraineté industrielle, mettent en lumière un recul qui fragilise des secteurs essentiels comme la santé, l’énergie et la défense.
Les délocalisations successives ont creusé la dépendance aux importations pour des biens stratégiques. Des secteurs comme la pharmacie sont particulièrement exposés. En 2017, l’Agence Européenne des Médicaments relevait que près de 40% des médicaments commercialisés dans l’UE provenaient de pays tiers, et que 80% des principes actifs étaient produits en Inde ou en Chine.
Un engagement politique renouvelé
Pour inverser cette tendance, l’État a misé sur une stratégie de relocalisation industrielle comme outil de résilience économique. Ces politiques visent moins à revenir à une industrie de masse qu’à soutenir des secteurs à forte valeur ajoutée et à créer des écosystèmes locaux capables de s’adapter aux nouvelles contraintes économiques et environnementales. La relocalisation est pensée comme un levier pour réduire la dépendance à des approvisionnements critiques et renforcer la souveraineté industrielle.
Premiers succès et signaux faibles
Dans la santé, des projets de rapatriement de la production de principes actifs ont été lancés. Dans le textile, plusieurs marques françaises ont relocalisé des ateliers pour valoriser le « Made in France ».
Dans le secteur de la logistique et du packaging, plusieurs projets visent à renforcer la résilience industrielle et à développer les circuits courts. Ces initiatives concernent par exemple la production de contenants et emballages durables pour l'agroalimentaire et la pharmacie, avec un objectif de création d'emplois locaux et de sécurisation des approvisionnements.
Les freins au mouvement de relocalisation industrielle en France
Malgré les efforts déployés, la relocalisation industrielle se heurte à des défis structurels majeurs.
Des coûts de production élevés
Les coûts en France restent élevés par rapport à ceux observés en Asie ou même en Europe de l’Est. Il faut toutefois noter que les coûts inférieurs ne sont pas la première motivation des entreprises françaises qui cherchent à développer des centres de production à l’étranger. La première raison étant la proximité avec le marché et les clients.
Des coûts plus élevés limitent néanmoins la compétitivité des productions locales. Une enquête de Bpifrance en 2022 révélait que seuls 5 % des PME-ETI prévoyaient une relocalisation dans les cinq prochaines années. Les filières les plus concernées par ces démarches sont la mode et le luxe, l’agroalimentaire et l’automobile.
Des obstacles multiples et persistants
La lenteur des autorisations, la rareté du foncier industriel et des réglementations complexes freinent les projets. Les charges fiscales et les contraintes environnementales allongent encore les délais de mise en œuvre. La question de la main-d'œuvre et celle de la concurrence internationale déloyale sont encore d’autres limites au déploiement d’un plan global de réindustrialisation.
Pour rendre la relocalisation industrielle viable, plusieurs solutions émergent : automatisation des sites, robotisation, formation interne et soutien accru des collectivités locales. Ces leviers pourraient compenser partiellement le différentiel de coûts et accélérer les projets.
L’Europe face à ses vulnérabilités
L'Union européenne a pris conscience de ses dépendances stratégiques et a adopté une approche volontariste.
Un réveil européen
L'accent a été mis sur l'arsenal législatif pour assurer la sécurité des chaînes d'approvisionnement de l'industrie européenne. Concernant les matières premières critiques, l'Union européenne a adopté un cadre pour garantir un approvisionnement sûr et durable, avec l'objectif de produire elle-même et de diversifier les pays fournisseurs.
Dans le secteur des semi-conducteurs, avec le Chips Act, l’UE s'est fixé l'objectif ambitieux de doubler sa part de marché mondiale d'ici 2030. Pour les technologies propres, elle a acté le principe de la relocalisation industrielle d'une partie de la production sur le continent européen, avec notamment un processus simplifié pour le permis accordé aux sites de production et la réduction des formalités administratives.
Les instruments financiers et de protection
Les Projets Importants d'Intérêt Européen Commun (PIIEC) sont un instrument privilégié pour financer cette politique industrielle renouvelée. Fin 2023, l'Union européenne a autorisé 7 États membres, dont la France, à mobiliser plus d’un milliard d'euros de subventions en soutien à des opérations industrielles.
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui entrera en vigueur au 1er janvier 2026, soumettra certains produits importés à une taxation du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens. Le règlement Net-Zero Industry Act impose quant à lui 30% de critères autres que le prix dans les appels d'offres pour le développement des installations d'énergie renouvelable.
Vers une renaissance industrielle européenne
L'Europe a les moyens de réussir sa transformation industrielle, à condition de valoriser ses territoires clés et de dépasser les obstacles qui subsistent.
Les opportunités territoriales
Certains territoires se révèlent particulièrement attractifs pour la relocalisation industrielle en France. C’est le cas de l'Auvergne-Rhône-Alpes qui concentre 48,5% des projets de relocalisation identifiés dans le cadre d’une enquête auprès des élus Industrie du réseau des CCI publiée en février 2023. Cette attractivité s'explique par la forte présence de centres de R&D et de formation, la disponibilité foncière à coûts maîtrisés, sa localisation géographique stratégique et son maillage industriel dense.
Les produits relocalisables prioritaires
Cette même enquête a aussi identifié les produits jugés plus relocalisables. Ce sont par exemple : les matériaux de construction comme le ciment, les matières actives pharmaceutiques ou encore la paraffine pour bougie. Les semi-conducteurs et composants électroniques constituent également une priorité, tout comme les équipements énergétiques tels que les panneaux photovoltaïques, les pompes à chaleur et les compresseurs.
La relocalisation industrielle concerne principalement des productions européennes vers la France. Cette proximité géographique facilite les projets de rapatriement et réduit les coûts de transition.
Les leviers d'action recommandés
Pour les entreprises, la formation interne constitue un levier essentiel pour développer les compétences avec le soutien des pouvoirs publics. L'innovation technologique, notamment l'automatisation, permet de compenser partiellement les écarts de coût de production. Le renforcement des écosystèmes locaux et des partenariats de proximité favorise également la réussite des projets de relocalisation industrielle.
Du côté des pouvoirs publics, la simplification administrative et l'accélération des procédures d'autorisation font partie des axes prioritaires. L'accès au foncier doit être facilité, notamment par la mise à disposition de terrains industriels adaptés. La garantie d'un approvisionnement énergétique à prix maîtrisés est par ailleurs un point essentiel pour la compétitivité industrielle. Enfin, la conditionnalité des aides publiques doit être renforcée pour assurer le respect des engagements de localisation.