Le 22 mai dernier se tenait la 17e édition des Rencontres du GIFEC sur le thème de l’Intelligence Artificielle. Quel sera l'impact de l'IA sur nos activités ? Comment redéfinir les spécificités humaines face à la machine ? Qu’en est-il de la cybersécurité et de la protection des données ? Voici quelques-unes des questions auxquelles les différents intervenants ont tâché de répondre afin de démystifier cette technologie pour mieux la mettre au service de l’entreprise et de l’industrie.
L’IA : un moteur de réindustrialisation ?
Le GIFEC, accompagne depuis plus de 50 ans les fabricants de produits industriels. Pour répondre à leurs interrogations et préparer une transition inédite vers l’IA, le groupement interprofessionnel a fait le choix d’une rencontre axée sur les opportunités. Certes, les risques et les dérives doivent être anticipés, mais sans faire écran à la nécessité du changement.
En tant que partenaire du GIFEC et Président du MEDEF, Patrick Martin a donné le ton en ouverture de l’événement : « L’industrie ne renaîtra que si l’on se donne des compétences et si on sait organiser des innovations qui nous permettront de reprendre le lead ».
Dans la continuité du Tour de France de l’IA organisé par le MEDEF, il a insisté sur le besoin de démocratiser ces technologies et de les intégrer concrètement dans l’industrie. La réindustrialisation active de la France doit redevenir une priorité, notamment pour les jeunes générations. Cela passe par l’investissement, la formation et la reconquête de compétences stratégiques.
Au-delà des grandes structures technologiques, l’intelligence artificielle est un enjeu existentiel pour les entreprises. Plus de 200 professionnels étaient présents à l’événement pour se saisir de ces questions.
Pour une IA appliquée à l’industrie française
L’IA, abordée de façon générique, n’a pas d’intérêt en soi pour le secteur de l’industrie. Elle doit systématiquement être appliquée à des cas d’usage. C’est le message qu’a voulu faire passer Asma Mhalla, docteure en sciences politiques, chercheuse associée au Laboratoire d’Anthropologie Politique de l'EHESS/CNRS et enseignante à SciencesPo, Polytechnique et Columbia GC.
Lors de son intervention, elle distingue clairement l’IA appliquée à l’industrie (logistique, robotique, cobotique…) de celle utilisée dans d’autres domaines, comme la santé, soulignant leurs problématiques spécifiques.
Elle note que le discours dominant autour de l’IA masque souvent cette réalité industrielle au profit d’un storytelling sensationnaliste (IA générale, ou IAG). Pourtant, ce sont bien des enjeux de production, de souveraineté et de puissance économique qui sont à l’œuvre. Dans une Europe en partie désindustrialisée, nous risquons de subir une dépendance stratégique, notamment vis-à-vis des géants américains du cloud.
Dans ce contexte, les industriels français sont confrontés à un dilemme : ils doivent adopter l’IA pour rester compétitifs, mais les solutions clés en main viennent des hyperscalers étrangers (datacenters à grande échelle de type AWS, Microsoft Azure ou Google Cloud), mettant en péril leur autonomie technologique.
La solution ? Une réindustrialisation stratégique, associée à une innovation souveraine, sans laquelle l’Europe ne pourra ni défendre ses intérêts ni rester dans la course mondiale. Il faut dépasser la logique purement réglementaire pour retrouver une vision industrielle forte, ancrée dans le réel.
3 challenges et autant d’exemples d’applications concrètes
Les 17e Rencontres du GIFEC ont été l’occasion de présenter les travaux menés par des élèves-ingénieurs de 4e année à l'ESILV - École Supérieure d'Ingénieurs Léonard de Vinci. Pendant 6 mois, plusieurs groupes coachés par des membres historiques du GIFEC ont réfléchi à l’impact positif de l’IA sur l’industrie afin de proposer des modèles d’algorithme répondant à un problème concret.
1 - La valorisation des données clients par l’analyse prédictive
Dans ce projet, l’intelligence artificielle est mise au service de l’anticipation des ventes industrielles. En partant de données de vente historiques collectées auprès d’entreprises du GIFEC, croisées avec des indicateurs macroéconomiques (cours des métaux, inflation…), l’équipe a développé un modèle prédictif capable d’estimer avec une grande précision l’évolution des ventes.
Ce modèle s’accompagne d’un simulateur d’impact, permettant aux industriels de tester l’effet de la variation d’un indicateur clé (comme le prix du pétrole) sur leurs résultats. L’outil permet d’améliorer la planification commerciale, l’optimisation des stocks et la projection stratégique à moyen ou long terme.
Ce projet a été récompensé par le 1er prix, salué pour sa pertinence et son efficacité opérationnelle.
2 - La sécurisation des messageries professionnelles
Face à la montée en puissance des cyberattaques par email, ce projet propose une solution simple et efficace pour protéger les entreprises industrielles. Le principe : un outil d’analyse des emails entrant, qui détecte automatiquement les URL suspectes grâce à un modèle d’intelligence artificielle.
Chaque lien est évalué selon son niveau de dangerosité, et les messages jugés malveillants sont redirigés dans un dossier sécurisé. Le système, une fois installé, fonctionne de manière autonome en arrière-plan, avec un taux de détection des menaces de 99 %.
Cette application, facile à déployer, répond à un besoin critique des PME industrielles, souvent peu préparées face aux enjeux de cybersécurité.
3 - Anticipation de la demande pour optimiser la production
Ce troisième projet part d’une problématique concrète : comment ajuster la production industrielle à la demande réelle, en limitant les stocks inutiles ou les ruptures ? L’équipe a collecté et nettoyé des données de ventes avant de tester différents modèles de prédiction.
Après plusieurs itérations, le modèle retenu permet de prédire les volumes à produire avec suffisamment de précision. L’objectif : offrir aux industriels un pilotage plus fin de leur chaîne de production, pour mieux répondre aux évolutions du marché tout en maîtrisant leurs coûts logistiques.
La prise de risque est-elle possible dans un monde hyperconnecté ?
C’est l’une des pistes de réflexion, proposée en seconde partie, par l’écrivaine et philosophe Mazarine Mitterrand Pingeot. Cette prise de risque, indissociable du monde de l’entreprise, peut-elle se développer dans un monde en réseau et donc sous un regard constant. Ne faudrait-il pas se couper du réseau pour produire des questions nouvelles ?
L’incapacité à produire un questionnement est pour Mazarine Mitterrand Pingeot l’une des problématiques de l’IA, et plus largement d’un monde hyperconnecté où les questions sont imposées, et où le seul choix consiste à les perpétuer ou à se couper du réseau. L’importance de la question posée avait d’ailleurs été soulignée en première partie par Asma Mhalla.
Produire des pensées nouvelles et savoir formuler des questions en dehors du cadre, voilà quelques-unes des spécificités humaines que nous devons nous attacher à conserver comme un bien commun.